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L'Ombre et la Flamme


Ankorkibil
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Chapitre 1 :

 

À l’origine des temps étaient les Titans, véritables colosses de pierre et d’acier aux immenses savoirs et aux pouvoirs infinis. Mais telle une étincelle, leur grandeur s’éteignit aussi rapidement que violemment. À la fin d’une guerre destructrice et longue, il ne restait qu’une poignée de Titans guidés par leur patriarche Ulther. La guerre avait eu raison de leur sagesse et de leur beauté, qui furent alors remplacées par la destruction. S’étant juré de racheter les erreurs de leur espèce, ils décidèrent d’insuffler à nouveau la vie à un peuple naissant destiné à racheter les fautes qu’ils avaient eux-mêmes commises. C’est ainsi qu’ils nous créèrent, nous, les Nains.

 

« Mais monsieur, pourquoi y a-t-il eu une guerre ? s’exclama un jeune élève au fond de la classe en levant la main.

— Merci de ne pas déranger le cours, rétorqua le grand prêtre. Ce n’est pas le moment, les questions sont à la fin du cours. Enfin, je vais tout de même vous répondre. Nous ne savons pas vraiment pourquoi la guerre a eu lieu. On pense même qu’elle fut si longue que les Titans eux-mêmes ne se souviennent plus pour quelle raison elle avait commencé. » Le professeur repris alors en se raclant la gorge.

 

Les Titans nous enseignèrent tous leurs savoirs, leur magie et leurs technologies. Ils nous aidèrent à bâtir la cité originelle, le premier royaume. Peu avant de partir, les Nains, au summum de leur puissance, forgèrent neuf artéfacts en guise d’hommage à leurs dieux. Mais cela n’eut pas l’effet attendu. Au lieu de la fierté, les Titans n’eurent que crainte et inquiétude devant ces objets, leur rappelant la puissance qui avait eu raison de leur peuple. Ne voulant pas que la tragédie qu’ils avaient vécue se reproduise de nouveau, ils demandèrent aux Nains de cacher ces objets afin que la tentation de les utiliser ne leur revienne pas. C’est ainsi que les neuf artéfacts titanesques furent disséminés à travers le monde et scellés avec leurs secrets.

 

« Est-ce que nous savons où ils sont aujourd’hui ? demanda une élève.

— Mmh... Et bien, aujourd’hui, nous n’en connaissons que deux. La hache de mithril du Roi, aussi connue sous le nom de Hache de Tharik, capable de passer à travers n’importe quelle armure, et le sablier du temps, capable de manipuler le cours du temps, retrouvé par les yorins dans un ancien tombeau. Tous les deux sous la protection de Galianör, ils ne doivent à aucun prix tomber entre de mauvaises mains. Bien que nous ayons retrouvé la quasi-puissance que nous avions lors du premier âge d’or, nous ignorons comment ils furent créés. Nous n’avons, à ce jour, aucun cristal mentionnant leur fabrication, à croire que le secret a bien été scellé avec ces objets. »

Il sortit une grosse montre à gousset dorée d’un pli de sa robe et la consulta. « Vous pouvez y aller, le cours est terminé. »

Les élèves se levèrent dans un brouhaha de bruits de chaise et de discussions aussi pertinentes que bruyantes. Puis soudain, un silence inhabituel fit place, suivit de quelques chuchotements. Le professeur, interpellé par cela, leva les yeux de ses livres pour se tenir informé de la situation. À l’entrée de la salle du cours, il vit ni plus ni moins que le Roi ainsi que ses élèves qui n’avaient jamais été aussi bien alignés.

« Tagazok à vous, les jeunes ! s’exclama joyeusement le Roi en entrant dans la salle. Comment allons-nous ? Pas trop fatigué ? demanda-t-il de sa grosse voix tout en ébouriffant quelques têtes. Allez donc à la taverne et prenez ce que vous voulez, la tournée est pour moi ! Je dois m’entretenir avec votre professeur. » Sur ces mots, les élèves quittèrent la salle avec respect, mais non sans excitation, suivis d’un garde royal pour les accompagner.

« Votre Majesté, s’exclama le professeur en s’inclinant. Que me vaut l’honneur de cette visite ?

— Je viens m’entretenir avec vous au sujet de vos travaux de recherche sur les artéfacts perdus. Avez-vous fait des découvertes ? dit-il d’un ton grave, son expression sévère typique au visage. 

— Justement majesté, je comptais envoyer un corbeau d’ici les jours à venir. Nous avons trouvé d’anciens cristaux dans les sites de fouilles de l’Ouest contenant des informations inédites. Ils mentionnent les artéfacts légendaires. Il va nous falloir encore quelques jours pour finir le déchiffrage, mais nous sommes confiants.

— C’est une très bonne nouvelle. Je suis inquiet, de mauvais présages nous sont parvenus… Zil’gurax n’était pas l’ombre qui menaçait notre peuple. Je suis convaincu que quelque chose d’autre, quelque chose de plus terrible et puissant, nous guette.

— La Prophétie des Ombres est très ancienne, si je puis me permettre, il se peut qu’elle ait été mal interprétée ou qu’un morceau se soit perdu avec le temps. Et puis, je me dois de vous mettre en garde, certains religieux estiment que cela est aller à l’encontre des Titans de vouloir les retrouver. »

Le Roi poussa un large soupir et reprit : « Ne me parlez pas de ces fanatiques ! Qu’est-ce que les Titans ont fait lors de la chute du premier royaume ? HEIN ? Toutes les souffrances de notre peuple auraient pu être évitées s’ils n’avaient pas obligé les anciens Rois à cacher ses objets ! » Le maître des runes resta muet. « Bien… J’attends votre corbeau avec impatience, je vais continuer mes recherches de mon côté. Je suis certain que quelque chose nous échappe. »

Les sautes d’humeur du souverain se faisaient de plus en plus fréquentes. Sur ces mots, le Roi salua le grand prêtre et quitta la salle, suivi de sa garde rapprochée.

Le Roi passa les jours et les nuits qui suivirent à consulter le grand cristal dans la salle du Cœur de la Montagne, essayant de trouver ne serait-ce que le plus petit indice sur ce que représentait l’Ombre ou des textes au sujet de la prophétie.

« Rien ! s’exclama le Roi en tapant de colère sur la table de lecture. C’est à en devenir fou ! Rien ! Absolument RIEN ! Comment… Pourquoi… même là, dans le recueil de nos ancêtres, il n’y a aucune trace… Pourquoi ne reste-t-il aucune trace ? C’est à en croire que… que… Le Roi fronça les sourcils en tournant lentement la tête pour observer l’un de ses gardes.

— Quelque chose ne va pas, sire ?

— Si, très bien, je vous remercie. Je crois que je suis fatigué, je vais retourner au palais. Vous pouvez disposer.

— Mais, sire, nous ne pouvons pas vous laisser sans surveillance.

— C’est un ordre ! Laissez-moi seul ! »

Sur ces mots, les gardes quittèrent la salle en laissant le Roi seul. Ankorkibil posa ses coudes sur la table en posant ses mains sur son front et lança un large soupir. « Je crois qu’il est temps que je me repose. »

Le Roi quitta la salle pour rentrer au palais. Il était très tard, la cité des Nains dormait à cette heure-ci. Il n’y avait personne dans les rues. Pas un son… à l’exception du chant lointain des forges venant ponctuellement accompagner le silence de leur cacophonie sourde. Quand soudain, une voix vint briser ce silence :

« Votre Majesté ! Sire ! Que faites-vous ici à une heure aussi tardive ? » C’était un jeune membre de la garde royale qui rentrait de sa ronde nocturne. Le Roi se retourna, l’air surpris, ne s’attendant pas à rencontrer quelqu’un aussi tard.

« Ah, c’est vous ! Mon petit Hachedet. » Hachedet n’était pas le vrai nom du jeune garde, mais tout le monde le surnommait affectueusement comme cela au palais en raison de son jeune âge, Hachedet voulant simplement dire petite ou jeune hache.

— Vous êtes-vous perdu, sire ?

— Oh non, voyons... quelle question ! J’arpente les rues du royaume depuis bientôt deux vies d’Homme ! Comment voulez-vous que je m’y perde ?

— Oui, bien sûr, vous avez raison, répondit le jeune Nain. Laissez-moi au moins vous raccompagner jusqu’au palais, dit-il d’un ton insistant. »

Le Roi hocha la tête en signe d’approbation et les deux Nains se mirent à marcher.

« Alors, dites-moi, mon jeune ami, quelles sont les nouvelles de la cité ? Est-ce que la vie y est agréable ? Parlez librement, je ne vous en tiendrai pas rigueur, dit le Roi.

— Oh, vous savez majesté, je ne passe pas le plus clair de mon temps à garder la cité, je ne suis pas véritablement au fait des dernières rumeurs… Le Nain hésita quelques instants puis reprit. À vrai dire, il y a quelques rumeurs en ce moment. On dit qu’il se passe de drôles de choses dans les terres de l’autre côté de la mer. Certains Nains affirment avoir vu des esprits, d’autres des phénomènes magiques inexpliqués.

— Mmh… C’est étrange que personne ne m’en ait informé. Bien que cela ne soit que des rumeurs, nous ne devons pas abaisser notre garde, dit le Roi d’un ton grave, je te remercie mon brave. »

Le Roi posa sa main sur l’épaule du jeune garde et ajouta : « Merci pour cette balade, mais nous voilà arrivés devant le palais, je vais pouvoir faire le reste du chemin seul. La princesse doit encore m’attendre, elle est toujours inquiète quand je rentre aussi tard.

— À vos ordres ! s’exclama le garde. Il salua le Roi puis repartit continuer son tour de ronde. »

Dans les jours qui suivirent, le Roi convoqua le Haut Conseil afin d’écouter les résultats des recherches sur les artéfacts titanesques.

« Très bien, s’exclama le Roi assis en bout de table, nous vous écoutons.

— Merci, sire. D’après les anciens cristaux trouvés dans les ruines, nous avons découvert quelques informations nous permettant d’identifier la localisation de certains de ces objets. Bien que cela reste très flou et que les textes sont très anciens, les paysages qu’ils décrivent peuvent avoir changé depuis l’époque où ils ont été écrits. C’est pour cela que je préconiserais la constitution de différents groupes d’expédition pour les envoyer explorer ces zones qui sont réparties parfois au-delà des frontières connues.

— Je vois… dit le Roi d’un air pensif, au nom du peuple des Nains, je vous remercie pour vos travaux. Je vais réfléchir à votre proposition. Vous pouvez disposer à présent. »

Le maître des runes quitta alors la salle du conseil, suivi de peu par le reste de l’assemblée. Ne restaient dans la salle que le Roi et son Intendant Balazur.

« Tu voulais me parler ? demanda Balazur.

— Oui, mon ami. Je voudrais que tu prennes la tête d’un des corps expéditionnaires pour les terres au-delà de la mer, dans la région des ruines. D’après des rumeurs, il se passe de drôles de choses là-bas. S’il s’agit d’un artéfact, nous ne pouvons pas passer à côté.

— Si c’est ton choix, mais en es-tu bien sûr ? Envoyer ton Intendant, ce n’est pas un peu excessif ?

— Et bien… Le Roi, lâcha un soupir en s’asseyant sur son siège, ne trouves-tu pas étrange que nous n’ayons aucune trace de ces objets dans nos archives ou même dans le grand cristal ? Il ne reste presque rien ! dit-il en s’énervant. Je suis sûr qu’une personne ou un groupe cherche à cacher leurs existences.

— À qui penses-tu exactement ?

— Je ne sais pas, mais tu sais que certains érudits voient le fait d’essayer de retrouver ses objets comme une offense envers les Titans.

— Tu penses qu’ils iraient jusqu’à aller contre la couronne ? Il est vrai que certains prêtres sont à cheval sur des dogmes originels, mais à ce point… Pourquoi ne demanderais-tu pas directement aux Titans ?

— Non ! Je m’y refuse ! Ils ne savent que sermonner. Notre dernière discussion remonte à près de dix ans… Pour eux, la création des géants mécaniques est une insulte à leur magie, en plus, maintenant que je recherche les anciens artéfacts, leurs opinions n’ont pas dû s’améliorer. J’ai tant œuvré pour redonner à Galianör sa grandeur, renouer avec l’art magique et malgré ça… C’est pour cela que je veux que ça soit toi. Je te laisse organiser les groupes expéditionnaires, il faut envoyer ces groupes le plus vite possible.

— Très bien, dans ce cas j’accepte. Je me mets au travail immédiatement. »

Après deux mois de préparation, les premiers navires quittèrent le port pour explorer le monde. À bord de l’un d’eux se trouvait l’équipe de recherche menée par Balazur.

 

 

Chapitre 2

 

 

 « Attention ! Regardez un peu où vous marchez, bon sang ! Encore un peu et c’en était fini de vous ! s’écria l’ancien.

— Par les Titans, merci ! Je ne pensais pas qu’un Nain comme… toi serait aussi rapide…

— Par ma barbe, vous ne changerez jamais. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette forêt est un vrai labyrinthe. Rappelez-moi pourquoi on nous a envoyés ici. »

L’autre ne semblait pas comprendre. Il faut avouer qu’il ne brillait pas par sa mémoire.

« Pour la centième fois, on nous a chargés de faire un repérage sur cette zone. Apparemment, au palais, ils prévoient d’effectuer des recherches ici. On aura sûrement besoin de bois et utiliser cette forêt représente une sacrée opportunité. C’est pour ça qu’on m’a envoyé ici, loin de mon bureau et de mes livres… Et puis ça doit être sacrément important pour que cela soit l’Intendant en personne qui dirige les recherches.

— Bon, je pense que l’on a fait le tour, tu ne crois pas ? Attends ! Regarde là ! Des loups ! »

C’était une meute de loups des glaces, une espèce très agressive et beaucoup plus massive que les loups habituellement présents dans les forêts voisines.

Sur ces mots, le Nain sortit son marteau et se tint prêt à réagir à une attaque des loups. Une bête massive s’élança sur le Nain, mais avant qu’il n’ait pu bouger, un éclair s’abattit sur la bête, l’achevant d’un seul coup. Devant cette vision, le reste de la meute prit immédiatement la fuite.

« Ah oui, c’est vrai que l’on m’a envoyé avec un maître des runes… Je n’ai pas l’habitude d’être accompagné par des Nains aussi instruits que toi !

— Certes, vous pouvez ranger votre marteau, il ne sert plus à rien.

— Attends, regarde au sol, ton éclair a révélé des inscriptions, mais je ne peux pas les lire. 

— Laissez-moi regarder… C’est du haut-nain... patientez un peu, le temps que je le traduise… Mmh... C’est un fragment d’une vieille tablette. Sans le reste, je ne pourrai pas comprendre l’histoire qui est décrite, il y est simplement fait mention d’une "ombre", et cela, plusieurs fois dans le texte. Vous avouerez que c’est étrange de trouver une tablette naine comme celle-ci dans une forêt aussi éloignée de Galianör… »

Le haut-nain est une langue presque exclusivement utilisée par les maîtres des runes pour les textes les plus sacrés.

« Peu importe, ça ne me regarde pas. Moi, tant que je peux avoir ma paye... Ha ha ! »

Le runiste rangea le fragment dans sa sacoche et le duo retourna au campement situé à la lisière de la forêt. Le soleil s’était déjà couché lorsque les deux compagnons atteignirent le campement, où plusieurs autres Nains s’y trouvaient. Ils se dirigèrent alors vers la tente du chef d’expédition, Balazur, pour y faire leurs rapports. Le Nain bourru entra dans la tente et, dans sa délicatesse naturelle, s’exclama :

« Chef, nous sommes là !

— Ah ! Vous voilà ! Vous êtes les derniers. Alors, avez-vous trouvé quelque chose ? demanda Balazur, les yeux cernés.

— Eh bien... oui, en fait… »

Le runiste donna un coup de coude pour le couper dans son élan et le reprit :

« Non, rien de bien intéressant, à l’exception d’une meute de loups sans grande importance.

— Très bien, de toute façon c’était notre dernier jour d’expédition. J’ai reçu un corbeau du Roi me demandant de rentrer. Apparemment, Sa Majesté attend impatiemment notre rapport, nous partirons demain à l’aube. »

Lors du repas, le maître des runes ne put détacher son regard du feu, l’esprit interpellé par cette tablette, se posant bien des questions… 

« Comment est-ce possible de trouver une tablette aussi vieille ici… Y’en a-t-il d’autres ? Peut-être suis-je sur le point de faire une grande découverte… Avec une plus grande découverte, je pourrais convaincre l’académie de financer une expédition que je pourrais mener ici… Et même pouvoir être nommé grand maître des runes, pensa-t-il. »

Après le repas, il alla chercher son compagnon de voyage.

« Et ! Mordin ! Ça vous dit d’être riche ? »

L’appât du gain semblait être la seule chose qui attirait son attention, à défaut de le motiver.

« Comment ça ? À quoi penses-tu ?

— Avec mon plan, je vais faire de nous des Nains riches et reconnus ! Avant le départ du campement, on retourne là où on a trouvé la tablette. Je suis certain qu’il y en a d’autres. On les trouve, je retourne à Galianör, monte une expédition financée par l’académie, je vous engage en tant que chef des explorations et paf ! À nous la gloire !

— Mmpf » Le Nain n’avait pas l’air convaincu par la proposition, mais bon... il ne risquait pas grand-chose après tout... « D’accord, ça marche ! 

— Très bien ! Alors, demain, à la première heure, retrouvez-moi à l’entrée de la forêt. »

Comme leur plan le prévoyait, après s’être retrouvé très tôt à l’entrée de la forêt, ils partirent pour retourner sur le lieu de découverte.

« Nous y voilà ! Bon... et bien, y’a plus qu’à chercher, grogna Mordin.

— Et bien, allez-y ! Commencez à creuser ! Moi, je vais faire un tour par là pour vérifier quelque chose. »

Le maître des runes se sépara de Mordin pour aller inspecter un peu plus loin. L’hiver, cette année-là, avait été particulièrement rude et une neige épaisse ralentissait sérieusement sa progression. Il marcha un bon moment jusqu’à entendre un ruissellement d’eau non loin de là. Le Nain, intrigué par un tel son, se dirigea en direction du bruit. En le suivant, il arriva dans une vaste clairière entourée par d’immenses arbres. Au centre de cette clairière se trouvait un gouffre gigantesque et très profond. Bizarrement, il n’y avait pas de neige et la chaleur y était plus élevée. La mousse avait recouvert une bonne partie des bords du gouffre et l’eau suintait de la végétation pour aller tomber au fond du trou.

Émerveillé par ce spectacle, il s’approcha du bord pour essayer d’en discerner le fond, mais les mousses et lichens recouvraient le fond. Impossible d’observer la quelconque présence de vestiges. Il décida alors de rebrousser chemin pour aller chercher son compagnon. Peut-être qu’ensemble, ils parviendraient à atteindre le fond.  

« Mordin ! Mordin ! Il faut que vous veniez avec moi, j’ai trouvé un immense gouffre non loin d’ici, je ne comprends pas comment toutes les patrouilles ont fait pour le rater.

— Ah, Alarik, te voilà ! Regarde ce que j’ai trouvé ! » Il tendit plusieurs fragments de tablette vers le runiste, mais à son grand regret, le temps avait effacé la quasi-totalité des runes, seules quelques traces d’inscription y figuraient encore.

 « Prisons éternelles, la lignée d’argent... » L’autre Nain l’interrompit :

« Branazril ?! 

— Oui, attendez, laissez-moi finir… Mmh… Gouffre… Gouffre ?! C’est étrange… Moi aussi j’ai trouvé quelque chose d’intéressant, suivez-moi ! »

Les deux Nains partirent donc vers le gouffre fraîchement découvert.

« Par ma barbe ! C’est profond ce machin-là… Et qu’est-ce qu’il fait bon ici !

— Vous arrivez à voir quelque chose ?

— Mmh... Non, impossible... Le brouillard bloque la vue. Attends, je crois que j’ai ce qu’il faut dans mon sac. » Le Nain fouilla dans son immense sac pour en sortir une corde. « Regarde-moi ça ! Une vraie œuvre d’art. C’est une corde de mon cousin, il travaille dans les mines. Ils l’utilisent pour se suspendre au-dessus de la faille de mithril.

— Vous êtes sûr qu’elle va supporter notre poids ?

— Bien sûr ! Tu penses bien qu’au vu de la valeur du mithril, ils ne vont pas risquer d’en perdre le moindre gramme... Ah ah !

— Si vous le dites… »

Mordin accrocha la corde autour d’un gros rocher après y avoir fait plusieurs tours. Il noua la corde à leurs ceintures et décida de descendre en premier. Après une descente plutôt dangereuse, où il n’avait pas manqué de glisser plusieurs fois, il atteignit le fond du gouffre.

« Alors ? demanda Alarik. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Attends, je vois quelque chose ! Je m’approche… » Quelques secondes s’écoulèrent sans que Mordin donne signe de vie.

« Mordin ?! Vous êtes là ? Répondez, bon sang ! s’égosilla l’ancien.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? »

La voix de Mordin lui parvenait faiblement.

« Quoi ?! Vous pourriez répondre quand je vous appelle !

— C’est… une porte scellée !

— Attendez-moi, j’arri... AHHHHHHHHHHHHHHHHHHH ! 

— Tu es là ?

— Aïe aïe aïe ! J’ai glissé, la paroi est trop humide... Heureusement que je maîtrise un sortilège qui amortit les chutes... Ha ha ! »

Il se redressa et rétablit les plis de sa robe.

« Regarde donc par là ! » L’autre pointait quelque chose du doigt, un sourire enthousiaste se dessinait sur son visage.

Devant les deux Nains se dressait une sorte de passage dont l’accès était scellé par un sceau de roche recouvert de runes.

« Regardez ! Au-dessus de la porte, il y a quelque chose d’écrit ! Attends, je vais le lire…

À celui qui lit ces mots, n’entrez pas. Là où l’Ombre est scellée, les vivants ne peuvent y pénétrer. Elle fut cachée par ceux qui sont, qui furent et qui seront.

— Et bien... ce n’est pas très réjouissant… Tu es sûr d’avoir bien lu ?

— Évidemment ! Pour qui me prenez-vous ? Cela fait près d’un siècle que j’étudie cette légende ! »

L’insolence de son compagnon commençait à lui mettre les nerfs à vif.

« Regarde ici au lieu de râler ! C’est le sceau royal. »

Effectivement, sur le sceau qui bloquait les portes du passage se trouvait le sceau de la famille royale de Galianör, la famille des Branazril. Autour de celui-ci étaient disposées des runes qui formaient un cercle de protection.

« Qu’est-ce qu’on fait ? On rentre pour chercher des informations ?

— Non, si je ne l’ai pas trouvé dans les bouquins avant de venir ici, ils n’en sauront pas plus à l’académie.

— Et au palais ?

— Je ne pense pas qu’on puisse avoir une audience avec le Roi avant un bon moment et Balazur ne va pas être très content si, en plus de nous être absentés, nous revenons bredouilles.

— On fait quoi alors ?

— Je vais essayer d’ouvrir la porte, reculez ! »

 

 

Chapitre 3

 

 « Votre Majesté, voici le groupe d’explorateurs mené par l’Intendant Balazur que vous avez envoyé dans la forêt de l’Est. Ils viennent faire leur rapport.

— Ah ! très bien, s’exclama le Roi, qu’ils approchent. »

L’équipe d’exploration s’avança alors en traversant l’immensité de la salle pour arriver en bas du trône. Là, deux gardes royaux gardaient l’escalier montant au trône. En levant les yeux ils eurent vision sur le Roi, sa fille sur les genoux, ainsi que les deux maîtres des runes chargés de consigner par écrit les audiences.

« Très bien, s’exclama le Roi, le terrain est-il à la hauteur de nos attentes ?

— Oui, en effet, sire. Le terrain est de bonne condition et la forêt pourra être exploitée sans grandes difficultés. Par contre, aucune trace de… »

Il tendit alors les cartes vers un runiste.

« Merci à vous, Balazur, nous observerons attentivement vos cartes, répondit le Roi d’un ton insistant. Avez-vous une dernière remarque à nous transmettre ?

— Et bien, sire, deux de nos Nains ne sont pas encore revenus de l’expédition.

— Que dites-vous ? Nous avons deux Nains qui manquent à l’appel ?

— Je les ai personnellement aperçus au camp la veille du départ, mais le lendemain, il n’y avait plus personne dans leurs tentes. Ils semblaient un peu louches dans leur comportement durant leurs rapports, surtout le maître des runes. Si je me souviens bien, ils m’avaient parlé d’une meute de loups près de leur zone de recherche.

— Vous avez bien dit des loups ? Ma parole, je crains le pire, ils sont bien agressifs dans cette région... Il vous faut retourner sur place. Nous devons localiser et retrouver les deux Nains manquants. »

À ce moment-là, un Nain entra dans la salle du trône, une enveloppe à la main. Il donna la lettre aux gardes pour qu’il la donne ensuite à l’Intendant.

« Que dit-elle, Balazur ?

— Nous venons de recevoir ce message d’un corbeau. Elle est signée : Alarik, maître des runes de l’académie de Galianör. 

— C’est l’un des deux Nains disparus, s’exclama le chef d’expédition !

— Que dit-elle ?

— Attendez, tenez, sire.

Le souverain la saisit et commença à lire.

Lettre adressée à Sa Majesté Ankorkibil Branazril, Roi de Galianör.

À Sa Majesté des runes :

Sire, je suis un maître des runes de l’académie de Galianör. Moi et mon compagnon venons de faire une découverte effroyable ! L’Ombre se réveille !

Voici une carte pour vous conduire jusqu’au gouffre de l’Ombre. Mon compagnon est coincé dans les galeries. Je vous prie de faire vite, c’est capital.  

L’Ombre arrive !

Le Roi resta immobile, les yeux rivés sur la lettre quelques instants, pétrifiés devant ce mot… L’Ombre… Il se leva en prenant la princesse dans les bras, ses yeux se tournèrent vers le capitaine de la garde puis il s’exclama : « Sonnez l’alarme, appelez tout de suite la garde ! Venez avec moi, dit-il aux Nains l’entourant. Fermez les portes, que personne ne sorte. » Le capitaine parti sur-le-champ.

« Ça va papa ? demanda la jeune princesse inquiète.

— Mais que se passe-t-il ? ajouta Balazur, inquiet.

— Elle est là, elle arrive, l’Ombre est à nos portes. Depuis que je suis sur le trône, ce nom n’a cessé de me hanter. D’abord ce vieux cavalier, ensuite Zil'gurax, puis la prophétie… À chaque fois, ce nom revenait toujours. Nous devons nous protéger tant que nous n’avons pas identifié la menace. Je vais prendre la tête de nos troupes et partir pour cette fameuse faille, dit le Roi.

— Mais, sire ! Vous n’y pensez pas ! s’exclama un des runistes. Et si vous ne reveniez pas ?

— Je reviendrai, quelle question, affirma le Roi d’un visage sûr et confiant. »

 Mais à l’intérieur, Ankorkibil n’était pas aussi confiant qu’il le laissait paraître. Et s’il ne revenait pas ? Et si cette menace était trop importante pour lui ? Tant de questions s’agglutinaient dans sa tête.

« Balazur ? Vous resterez ici pour assurer la gestion de la cité. Si jamais il m’arrive quelque chose, je vous confie ma fille. Protégez Alnira, protégez là jusqu’à ce qu’elle soit en âge de monter sur le trône.

— Bien, sire, mais s’il vous plaît, revenez !

— Papa ! Reviens vite ! s’écria Alnira. »

Après une demi-journée de préparatifs, les troupes de Galianör, menées par le Roi et le chef de la garde, embarquèrent et la flotte galéor se mit en route vers le gouffre.

« Majesté ! s’exclama le chef de la garde. Nous sommes prêts à faire face à n’importe quelle menace, nos soldats ainsi que les maîtres des runes et prêtres sont prêts. Nous avons même quelques géants d’aciers.

— J’espère que vous avez raison, répondit le Roi. J’espère… »

Moins de deux jours après la réception de la lettre, l’armée galéor arriva devant le gouffre grâce aux indications données par le maître des runes. L’armée toucha terre au bord d’une falaise creusée par la mer. Ce furent les géants d’acier qui débarquèrent en premier, transportant le gros du matériel d’exploration.

« Allez ! Du nerf les géants ! gueulait un ingénieur. Numéros 23, 25 et 47, prenez cette grue ! »  Les géants nécessitaient une supervision attentive, ne pouvant prendre aucune initiative, il était nécessaire qu’un ingénieur les guide pour chaque tâche, même la plus simple.

Puis ce fut au tour de l’armée et des maîtres des runes de débarquer, suivis du bateau amiral qui ferma la marche.

Une fois toutes les troupes débarquées, elles se mirent en marche et s’enfoncèrent alors dans l’épaisse forêt glacée. L’ambiance était pesante et un sentiment de profonde inquiétude planait dans l’air. Les soldats, tant aussi bien les gardes royaux que ceux de l’armée régulière, se questionnaient sur cette campagne. Il était vrai qu’au vu de la précipitation de la mobilisation due à la réaction rapide du Roi, les informations n’avaient été que sommaires.

« Eh ! Savez-vous pourquoi on est là ? demanda un garde.

— Beh, non ! répondit un autre. À ce que l’on dit, le Roi a reçu un corbeau il n’y a même pas trois jours, puis nous voilà ici, répondit un autre.

— Un corbeau ? C’est sûrement le Dominion ! De toute façon, vaut mieux les frapper avant que ce soit eux qui nous frappent ! s’exclama un troisième garde.

— Soit pas bête ! Jamais nous n’irions les attaquer ! Le Roi a toujours assumé la neutralité et l’indépendance du peuple nain, ça aide pour le commerce !

— De plus, depuis quand le Dominion est-il de l’autre côté de la mer ? Tu n’as pas passé ta soirée à la taverne toi ? » Un rire général s’en suivit. Puis un quatrième garde rejoignit la conversation

« Mmh... Si vous voulez mon avis, le Roi a juste perdu la boule ! médit le Nain d’un ton dédaigneux. De plus, d’après certains prêtres, il ne rend même plus hommage aux Titans.

— C’est faux ! s’écria l’un des gardes. On le voit à chaque grande cérémonie. Et puis, dois-je te rappeler que sans lui...

— Mais bien sûr ! le coupa celui-ci. Bien sûr qu’on le voit dans les grandes cérémonies, mais en dehors du public ! Et puis, regardez !

— Regarder quoi ? demanda un garde royal de la rangée adjacente. Vous êtes ici parce qu’un danger menace notre royaume et qu’aux dernières nouvelles, il est en charge de sa défense. Il n’y a rien à dire de plus, le reste n’est que diffamation !

— On n’a pas demandé ton avis, Monsieur le garde royal ! On n’a pas tous la chance d’être dans les petits papiers de Sa Majesté ! »

Soudain, un grand « Halte ! » s’éleva dans les airs, coupant court à la conversation. L’armée venait d’entrer dans une clairière. Devant eux se trouvaient une grande faille. Le Roi, monté sur son bélier des montagnes, situé à la tête de la marche, regarda le plan délivré par le maître des runes et dit :

« Nous y sommes, c’est dans ce gouffre que réside l’ombre. »

Durant les deux jours suivants, l’armée installa son campement au-dessus du gouffre et les tentes noires et rouges s’étalaient tout le long de la lisière de la forêt. Les ingénieurs avaient installé des monte-charges servant habituellement dans les mines pour suspendre les mineurs dans la faille de mithril. Quelques géants avaient déjà été descendus au fond du gouffre ainsi que du matériel servant à l’exploration des mines. Au même moment, dans la tente royale, une cellule de crise y était réunie. Autour d’une grande table, recouverte de plans et de cire fondue, se tenait un groupe de Nains :

« Bien, je pense que tout est en place, s’exclama Gunrin, contremaître royal. Les monte-charges, les géants de fer ainsi que le matériel sont déjà en bas, sire.

— Nos troupes sont également prêtes, reprit d’un ton assuré Khazadûr, chef de la garde. Nous allons pouvoir faire face à toute éventualité. 

— Très bien, acquiesça le Roi, je prendrai moi-même la tête du groupe d’exploration ! » Cette déclaration déclencha une stupeur générale autour de la table, les voies s’étaient élevées presque aussitôt :

« Mais, sire ! Vous ne pouvez pas prendre ce risque ! déclara le chef de la garde en esquissant un clin d’œil.

— Je suis d’accord ! reprit l’un des conseillers. Nous ne savons pas ce que nous allons trouver en bas ! Imaginez qu’il vous arrive quelque chose ?

— Le risque est trop grand !

— Je suis d’accord ! S’il vous plaît, n’y allez pas ! »

Devant cette réaction, le Roi n’eut pas d’autres choix que de renoncer à l’expédition. Il accepta donc de rester à la surface.

 La totalité du matériel une fois en place, une troupe de maîtres des runes et de gardes fut envoyée en reconnaissance pour inspecter le fond du gouffre. Les Nains, menés par Khazadûr, montèrent dans les monte-charges et commencèrent à descendre. Très vites, des chuchotements se firent entendre dans l’une des nacelles. Les maîtres des runes et les gardes se regardaient les uns les autres et essayaient de ne pas dévisager l’un des Nains présents avec eux. Après quelques instants d’hésitations, ils en étaient sûrs, le Roi était avec eux. Vêtu d’une robe de maître des runes, il s’était frayé un chemin jusqu’à la première escouade.

« Messieurs, s’exclama le Roi, ne dites rien jusqu’à ce que nous ayons touché le fond. Mon conseil m’a fortement déconseillé de venir avec vous. S’ils se rendent compte que je suis ici, ils feront remonter la nacelle.

— Oui, sire ! répondit la troupe. »

Quelques instants plus tard, la nacelle toucha le fond du gouffre. Les Nains descendirent et se dirigèrent au centre de celui-ci pour rejoindre les autres nains. Ils attendaient que le chef de l’expédition prenne la parole pour donner les ordres, mais après quelques secondes, toujours rien. Le Roi retira alors l’habit qui le dissimulait et dit en tirant sur ses gants :

« Messieurs, ça sera moi qui vous guiderai ! s’exclama le Roi d’un ton jovial. »

Les Nains, réalisant qui se trouvait devant eux, se mirent aussitôt au garde-à-vous : « Sire ! »

On pouvait entendre crier en haut du gouffre : « Où est le Roi ? », mais encore « Quelqu’un a-t-il vu le Roi ?

— Ne cherchez plus, s’écria un garde, regardez en bas. »

 

 

Chapitre 4 :

 

La troupe s’approcha de la porte située sur l’un des flancs du gouffre. L’entrée scellée était complètement éventrée, la porte avait de toute évidence été fracassée par un sortilège. Le Roi ainsi que les maîtres des runes s’avancèrent pour inspecter les restes du sceau. De manière habituelle, la magie naine a pour base l’utilisation des runes et de cercles gravés sur divers matériaux. Leurs agencements, leurs sens d’utilisation, ainsi que leurs positions sur les cercles définissent la magie qui résulte de leurs utilisations. Plus les runes sont complexes, plus l’utilisateur est expérimenté et puissant et, généralement, plus le sortilège l’est aussi. Certains maîtres utilisent des pierres polies comme supports, d’autres des cristaux, d’autres encore s’inscrivent leurs sortilèges sur les mains ou sur des gants et d’autres préfèrent graver leurs runes sur des objets. Les fragments comportaient des runes semblant faire partie d’un grand sortilège de défense. Le Roi tendit la main, dont les gants étaient entièrement recouverts de fines runes gravées dans l’or et le mithril, et commença à inspecter les ruines.

« Majesté ! s’écria un des maîtres. Nous avons découvert des inscriptions sous les gravats !

— Comment vous appelez-vous, mon cher ?

— Rinfals-hrím, sire, répondit-il humblement.

— Et bien Rinfals, je vous suis. »

Quelques maîtres avaient sorti des gravats de vieilles inscriptions. Après un rapide coup d’œil, il s’agissait de nanien ancien. C’était un message d’avertissement qui, une fois traduit, donnait à peu près cela : « Ici, repose l’Ombre de la Flamme d’un temps où les Titans peuplaient la terre. Elle fut scellée par les premiers et jamais lumière ne reverra. » Cela ne faisait plus aucun doute, l’Ombre qui hantait l’esprit du Roi depuis si longtemps était dans cette caverne.

Le Roi, plus déterminé que jamais, prit la tête du premier groupe à rentrer dans la caverne tandis que d’autres restaient dans le gouffre pour inspecter les gravures. Le chemin était tortueux et difficilement praticable. Les Nains avancèrent difficilement dans ce long couloir, ne disant presque aucun mot. L’atmosphère se faisait de plus en plus chaude. Aucun mot, jusqu’à…

« Attendez ! N’avez-vous rien entendu ? demanda un garde. Écoutez ! Là… N’avez-vous rien entendu ?

— Qu’y a-t-il ? demanda le Roi.

— Rien, sire. Notre compagnon pensait avoir entendu quelque chose. Mais ce n’est rien.

— Là ! reprit le garde. Avez-vous entendu, là ? » Le groupe de Nains tendit l’oreille pour essayer d’entendre quelque chose… Un bruit ressemblant à des pleurs venait d’un peu plus loin dans la grotte. Les Nains se précipitèrent, faisant fi du silence, pour identifier l’origine de ces pleurs. C’était Alarik, adossé contre la roche, recroquevillé sur lui-même, marmonnant des paroles incompréhensibles, le regard dans le vide. Ankorkibil accourut à ses côtés et l’attrapa par les épaules.

« Hé ! C’est vous Alarik ? » Le nain ne lui donna aucune réponse, le regard toujours aussi vide. « Hé ! Vous m’avez envoyé une lettre ! » Mais il n’obtint aucune réponse. Le Roi commença à le secouer en haussant la voix : « Qu’avez-vous ? Mais, répondez bon sang ! Qu’est-ce que l’Ombre ? » À l’entente de ces paroles, le Nain réagit soudainement et, levant sa main tremblotante, pointa du doigt l’embouchure de la grotte de laquelle une lueur rougeâtre s’échappait.

« Que deux soldats le prennent et le ramènent au camp ! ordonna le Roi. Les autres, avec moi ! »

Deux soldats se dévouèrent et amenèrent le maître des runes avec eux. Le reste du groupe s’avança alors jusqu’à cette mystérieuse lueur rougeâtre. Là, devant leurs yeux, un véritable cauchemar incarné. Un immense démon d’ombre et de flamme, enchaîné par de colossales chaînes et entravé par un immense sceau de runes, se tenait là, devant eux. Les Nains ressentirent immédiatement l’influence extrêmement négative que ce démon dégageait. La pression était telle, que s’y attarder ne serait-ce que quelques minutes suffiraient à rendre fou quiconque s’y approcherait. Les maîtres des runes brandirent alors leurs artéfacts pour se protéger de cette influence des plus malsaines. Mais à peine eurent-ils le temps de lancer leurs sortilèges de protection que la plupart des objets volèrent en éclat. L’influence néfaste que dégageait ce cauchemar était telle, que leurs enchantements n’avaient pas tenu le coup. Seuls quelques-uns, plus puissants et plus expérimentés, parvenaient difficilement à maintenir leurs défenses. Le Roi leva également sa main droite pour tenter de se protéger. Arrivant difficilement à maintenir son bouclier, il aperçut à quelques mètres de lui un marteau planté dans le sol ainsi que la silhouette d’un corps au pied de celui-ci. Il s’avança, pas à pas, tentant de parvenir jusqu’au marteau sans s’apercevoir que ses gants étaient en train de se fissurer sous la pression colossale que dégageait le démon. « Sire ! Revenez ! » s’écria Khazadûr qui voyait le Roi s’avancer aussi imprudemment. Ce dernier avait dégainé sa hache, les runes gravées à sa surface luisaient d’un éclat malsain, son armure runique le protégeait mieux que le reste de la troupe de l’influence du démon.

Mais le souverain n’entendit rien, l’esprit trop occupé à maintenir le sortilège en place. 

« J’y suis presque, grogna-t-il entre ses dents serrées sous l’effort, le front perlant de sueur. Encore quelques pas et… » Il tendit le bras en saisissant le manche du marteau, tira un grand coup en arrière et tomba, emportant avec lui l’arme. À ce même moment, les gants du Roi se brisèrent, le laissant sans défense. Soudain, il entendit une voix macabre raisonnée dans sa tête, le saisissant d’effroi :

« FAIBLES ! FOUS !

— Qui… Qu’est-ce que…

— VOUS ÊTES REVENUS ? BRANAZRIL !

— Qui… Qui êtes-vous ? parvint à demander Ankorkibil.

— VOUS N’ÊTES PAS BRANAZRIL ? POURTANT JE SENS SA MISÉRABLE PRÉSENCE EN VOUS !

— Arg... » Le Roi était incapable de répondre, totalement écrasé par cette voix.

« VOUS N’ÊTES PAS LUI ? VOUS ÊTES SON FILS ? NON, BIEN PLUS VIEUX… AURAI-JE DORMI SI LONGTEMPS ? RÉPONDS ! DISCIPLE D’ULTHER !

— Je… Je suis… Ankorkibil Branazril, Roi du royaume d’argent et de Galianör, gardien de la Hanche et de la voix des Titans. Vous ! Qui êtes-vous ? répondit le Roi, visiblement à bout de force.

— TES DIEUX NE T’ONT JAMAIS PARLÉ DE MOI ? JE SUIS NARGÛN, TITAN DES TÉNÈBRES ET DU CHAOS. L’UN DE TES DIEUX M’A AUTREFOIS COMBATTU ET SCELLÉ ICI AVEC L’AIDE D’UN ROI NAIN. YOTIS M’ENFERMA ICI AU PRIX DE TOUTE SA MAGIE, CE QUI LE CONDUISIT À LA FOLIE. MAINTENANT, MEUUURT ! »

Ankorkibil était totalement écrasé par son pouvoir. N’arrivant presque plus à penser, il sentait sa vie s’écouler hors de son être. L’obscurité le gagnait peu à peu.

« Vais-je mourir ici ? se demanda-t-il. Ai-je donc couru jusqu’à ma perte ? Alnira… je suis désolé. Je ne rentrerai pas… » Soudain, le Roi sentit qu’une poigne vigoureuse le tirait en arrière. Khazadûr le tirait hors de portée de l’abomination, ne la lâchant du regard. Après quelques efforts, le chef de la garde parvint à l’extraire de là et à le ramener à l’extérieur.

« Majesté ! Nous entendez-vous ? » demanda Khazadûr, mais il fallut encore quelques instants avant que le Roi ne parvînt à ouvrir les yeux. L’obscurité et le vide en lui laissaient lentement place à la lumière.

« Qu’est-ce que… Vous m’avez sorti de là ? Comment ?

— Ne vous inquiétez pas, répondit le vétéran. Vous vous étiez effondré au sol en essayant d’attraper ce marteau, alors nous vous avons sorti de cette grotte.

— Qu’avez-vous dit ? Vous avez le marteau ? » En effet, les Nains étaient parvenus à se saisir du marteau en même temps que du Roi. Ankorkibil se releva brusquement et examina l’objet. Il ressemblait à un marteau de forge, bien qu’ayant également l’allure d’un marteau de combat. On pouvait lire sur son côté, gravé en runes, SkarrIzril, pouvant être traduit par Joyaux du Ciel. Le Roi prit le marteau et se dirigea vers l’un des monte-charges en titubant et ordonna qu’on le fasse remonter. Une fois à la surface, il ordonna à Khazadûr de ne laisser personne entrer dans la grotte jusqu’à nouvel ordre.

« Sire ! Que vous est-il arrivé ? Vous allez bien ? » Mais il n’y eut aucune réponse. Le Roi semblait n’avoir qu’une seule idée en tête : il devait à tout prix avoir une conversation avec les Titans. Il entra dans sa tente en ordonnant que personne ne le dérange. Il déposa le marteau à l’entrée et s’installa, assis, au centre de sa tente, puis il commença à prier, bien que cela faisait des années qu’il n’avait pas invoqué les Titans. Après quelques minutes de prière, il finit par entendre des voix raisonner en lui :

« Nous avons entendu ton appel, nous pensions ne plus te revoir, s’exprima une voix grave.

— J’implore votre pardon, répondit Ankorkibil.

— Tu n’es qu’un fou qui a voulu courir avant de savoir marcher. Regarde où cela t’a conduit !

— Moi, un fou ? Qui a privé les Nains de leurs armes quand les gobelins ont brisé la Hanche ? Qui n’a jamais fait mention de ce qui se trouvait dans ce gouffre ? C’est vous et vos secrets qui nous ont conduits jusqu’ici. Vous nous avez donné notre indépendance, mais vous ne supportez pas de nous voir évoluer et progresser. Votre réaction devant les géants de métal n’en est qu’un exemple. Seul Dwalin y a vu quelque chose de bénéfique.

— Nous n’avons commis aucune erreur. C’était pour vous protéger de vous-même. Nous ne voulions pas que vous reproduisiez les mêmes erreurs que nous. Mais…

— C’est un discours émouvant et sincère, répondit une voix féminine. Nous comprenons tes choix, même si nous ne les approuvons pas, ils restent les tiens.

— Le marteau que tu as trouvé dans la grotte est de loin le plus puissant et le plus dangereux des artéfacts créés par les Nains, dit une troisième voix. C’est avec lui que les premiers Nains forgèrent bon nombre des autres objets que tu convoites. Il recèle une puissance extraordinaire qui permet de créer n’importe quel objet à partir de matière première.

— Il fut utilisé par ton ancêtre pour maintenir le sceau qu’a imposé Yotis à Nargûn, ajouta une quatrième voix.

— Qui est véritablement Nargûn ? demanda le Roi. Il… Il a dit qu’il était lui aussi un Titan.

— C’est vrai, reprit la voix féminine. Autrefois, il en fut un. Lorsque la guerre fut finie, nous pensions être les derniers…

— Mais peu avant notre départ, ajouta la voix la plus grave, contre toute attente, nous avons ressenti la présence de l’un des nôtres…

— Malheureusement, notre déception fut immense. Durant la guerre, nombreux Titans ont sombré dans les ténèbres, leurs magies et leurs âmes furent corrompues par le mal qui fut engendré. Nargûn était l’un de ces malheureux…

— Yotis le combattit alors et avec l’aide de ton ancêtre, ils parvinrent à le sceller dans les profondeurs du monde. Yotis ayant épuisé pratiquement toute sa magie sombra peu à peu dans la folie après cela.

— Je comprends mieux, répondit le Roi. Mais pourquoi nous l’avoir caché ?

— Ce ne fut pas notre décision. C’est ton ancêtre qui en a décidé ainsi. En ayant connaissance de la puissance du Joyau du Ciel, il craignait qu’un Nain finisse par essayer de le retirer.

— Je vous remercie sincèrement et vous demande pardon. »

Ankorkibil reprit alors ses esprits, prit le marteau et se dirigea vers la forge qui avait été déployée dans le campement. À sa grande surprise, il faisait nuit, sa prière avec les Titans avait duré plus longtemps qu’il ne l’avait imaginé. Il prit alors un lingot de mithril de la réserve et commença à frapper. À chaque coup, des éclairs bleutés jaillissaient du marteau qui venait heurter le précieux lingot. Plus il frappait le lingot, plus il prenait la forme de gants. Après plusieurs heures, les gants étaient prêts. Le Roi les enfila et ressentit immédiatement l’immense pouvoir qu’ils dégageaient. Les runes gravées sur ceux-ci étaient d’une finesse et d’une complexité qu’il n’avait jamais vues.

« Ah ! Vous êtes là, sire ! dit Khazadûr, ayant entendu les bruits de la forge. Qu’est-ce que…

— Je te présente les gants de Yotis, dernière des reliques du royaume d’argent. Forgés grâce au marteau de mes ancêtres. Grâce à eux, nous allons pouvoir renvoyer l’autre affreux d’où il vient. »

À ces mots, les runes de l’arme luirent brièvement, comme si elles avaient une conscience propre. Un sourire cruel vint déformer le visage balafré du capitaine.

Les deux Nains se dirigèrent discrètement vers les monte-charges, cachés par la nuit, puis descendirent le gouffre et entrèrent dans la grotte. À mesure qu’ils approchaient, les runes de leur équipement se réveillèrent, le marteau du Roi brillait avec la force d’une étoile. Après quelques instants, ils se retrouvèrent de nouveau devant l’Ombre : 

« Je ne te crains pas, démon ! cria le Roi. Voici les gants de Yotis ! Grâce à eux, ton influence n’a plus aucun effet sur nous ! » Le Roi tendit alors ses mains qui illuminèrent la prison de pierre de Nargûn. Le sceau qui entravait la calamité resplendit alors, se resserrant sur son prisonnier.

« COMMENT ? COMMENT AS-TU PU TROUVER UNE PAREILLE FORCE ? » demanda le démon en tirant sur ses chaînes, mais il n’eut jamais la réponse. Le Roi s’avança et replaça le marteau à sa place d’origine, refermant ainsi le sceau. La présence négative s’effaça peu à peu pour disparaître à jamais.

« Regardez, sire ! signala Khazadûr. Ça doit être la dépouille du deuxième Nain. C’est peut-être lui qui a tenté de retirer le marteau… sire ? » Il leva la tête et vit le Roi affalé au sol. « SIIIRE ! »

Puis ce fut le noir absolu.

 

 

Epilogue

 

Ankorkibil ouvrit les yeux dans son lit, au palais, sa fille assoupie à ses côtés.

« Papa ? dit la princesse, les yeux à peine ouverts.

— Oui Alnira, je suis là. » La princesse se jeta alors de tout son poids sur le pauvre Nain convalescent qui lâcha un large soupir en recevant l’impact. Il la serra alors dans ses bras. Au même moment, l’un des gardes qui surveillaient l’entrée de la chambre royale entra, ayant entendu du bruit :

« Majesté ! Vous êtes enfin réveillé !

— Enfin ? Pendant combien de temps ai-je dormi ?

— Une semaine ! répondit la princesse.

— Vraiment ? Par les Titans… Faites venir Balazur sur-le-champ ! ordonna le Roi.

— Très bien, sire. Tout de suite ! »

Le garde partit alors chercher l’Intendant qui arriva peu de temps après :

« Et bien, mon vieil ami, cette fois, on a vraiment pensé que tu avais réussi à te tuer. Les médecins ont dit que tu avais dépensé tellement d’énergie qu’ils n’étaient pas sûrs que tu sois capable de récupérer.

— Ont-ils donc si peu foi en leur Roi ? Ah ah ah ! déclara le Roi. Que s’est-il passé ?

— Khazadûr t’a sorti de la grotte après que tu as scellé l’ombre. Nous t’avons ramené ici au plus vite pour te faire examiner par les médecins. Pendant ce temps, nous avons commencé à reconstruire la porte pour condamner de nouveau l’entrée de cette maudite grotte et le maître des runes qui l’avait découvert est toujours dans un état second. Nous ne savons pas s’il en sortira un jour… Et pour son ami, et bien, tu l’as vu par toi-même dans la grotte.

— Une bien triste histoire. »

Plusieurs jours passèrent après le réveil du Roi. Une grande cérémonie fut célébrée pour fêter cet évènement qui avait marqué au fer rouge l’histoire des Nains, ainsi qu’une grande fête dans tout le royaume. Après la cérémonie, le Roi convoqua les grands prêtres de Galianör au palais :

« Majesté, voici les prêtres ! déclara l’un des gardes royaux.

— Majesté ! dirent en s’inclinant les trois prêtres. En quel honneur sommes-nous convoqués au palais ?

— Pour vous féliciter de votre mutation à tous les trois.

— Excusez-nous, mais… quelle mutation ? demanda l’un des prêtres.

— Votre mutation dans notre colonie religieuse. Vous devez en avoir entendu parler, voyons ! répliqua le Roi d’un ton amusé. Vous savez, Ulgrim, vous allez vous y plaire, j’en suis certain. Ce sont des gens humbles, ne vivant qu’avec peu de chose. Tout est à faire là-bas. Je suis certain que le travail des champs vous fera le plus grand bien. »

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